ASSOCIATION
DE L'INSTITUT PORTALIS (AIP)
Conférence n°4 - L'oubli et le droit (17 novembre 2014)
Pour cette IVe Conférence Portalis, l'amphithéâtre Peiresc affichait quasiment complet, et le thème retenu pour l’occasion (l’oubli et le droit) ainsi que la qualité des intervenants ont été salués à leur juste valeur.
En effet, l'AIP a eu l'honneur d'accueillir MM. Jean Frayssinet, Professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille et membre de la Commission de contrôle des fichiers d'Interpol, Bruno Rebstock, avocat à la Cour, et Xavier Philippe, Professeur agrégé des facultés et Directeur de l'Institut Louis Favoreu - GERJC. Tous ont apporté leur éclairage dans un domaine juridique précis quant à la problématique qui était soulevée, à savoir celle de l'ambivalence des rapports entre l'oubli et le droit qui évoluent entre nécessité et pis-aller.
Un oubli nécessaire.
Tel a été le point de vue du Professeur Jean Frayssinet à travers son intervention intitulée Le droit à l'oubli dans le traitement des données personnelles. "Tout ce qui est mis sur internet est inoubliable", dès le départ le ton était donné. Cela est d'autant plus vrai que rien n'est fait à l'échelle nationale et internationale pour encadrer légalement ce droit à l'oubli numérique. Ce n'est que grâce à l'heureuse ingénierie des juges européens et internes, non sans une certaine pression sociologique, que se construit peu à peu
une protection efficace. Progressivement donc, le pessimisme introductif a laissé place à un optimisme quant à l'évolution des moeurs et pratiques dans ce domaine.
Un oubli ambigu.
Voilà comment pourrait être résumée l'intervention de Maitre Bruno Rebstock qui avait à traiter du droit à l'oubli en droit pénal: comment concilier intérêt de la victime et intérêt de la société ? Il fallait un rappel sur la raison-d'être du procès pénal pour bien cerner toute l'ampleur du problème. En effet, si l'on perçoit de nos jours le procès pénal comme une prise en considération de la victime, il ne faut oublier qu'il sert avant tout à réparer un tort causé à la société. Ce glissement du procès pénal va ainsi de paire avec une modification continue des seuils de prescription. Cependant, ce besoin de repousser l'oubli ravive le couple victime/bourreau et peut-être facteur d'insécurité juridique. Ainsi, s'il est nécessaire dans certaines situations de repousser le point de départ de la prescription, il faut également laisser naturellement le temps passer.
Un oubli malheureux.
Ce fut l'opinion du Professeur Xavier Philippe qui avait à répondre à la question suivante : Violation grave des droits de l'Homme, faut-il oublier pour avancer ? Ainsi, toute société qui doit se reconstruire après une crise grave ne peut se permettre d'oublier ce qui s'est passé. L'amnistie générale ne peut être la solution car elle signifie d'abord irresponsabilité des auteurs de violations graves des droits de l'homme. Surtout elle emporte des conséquences sociologiques terribles puisque le devoir de mémoire n'est pas possible. Or c'est par la mémoire que la société se reconstruit et que la confiance mutuelle, précédemment brisée, réapparait. Il faut souligner d'ailleurs les mécanismes de justice transitionnelle qui permettent l'établissement de la vérité, aux dépens, il est vrai, d'une réponse pénale atténuée.
L'oubli et le droit entretiennent et continueront à entretenir des rapports équivoques voire contradictoires. Pour saisir tout l'ampleur de la problématique, il fallait cependant sortir des divisions juridiques classiques. C'est un problème transversal qui touche tant le droit public que le droit privé, le droit interne que le droit international. Et cela a bien été mis en évidence par cette quatrième conférence de l'AIP. Les actes sont disponibles au sein du troisième numéro des Cahiers Portalis.